Biomimétisme : quand les entreprises se tournent vers le Vivant

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Softbank vient de vendre ses parts dans Nvidia pour 5,8 milliards de dollars, en vue d'investir largement dans des entreprises d'IA. La capitalisation boursière des GAFAM représente aujourd'hui environ 14 000 milliards de dollars. On ne peut que le constater, la recherche d'innovations et de profits, de nos jours, se dirige structurellement vers des modèles très intensifs, à la technologie condensée, où les produits contiennent logiquement davantage d'itérations, d'algorithmique… Certaines entreprises, cependant, s'intéressent au point de départ de nos existences, à la nature et ce que la biologie peut apporter aux entreprises.

L'idée semble presque provocatrice dans un monde tourné vers la disruption numérique. Les mots de Lavoisier nous parviennent, et nous inspirent, se pencher sur les phénomènes naturels et les interactions œcuméniques des écosystèmes promet certaines réponses à des équations insolubles. La nature ne gaspille rien, recycle tout, et transforme les contraintes en leviers.

Des entreprises comme les français Calyxia | Certified B CORP s'en inspirent dans leur procédé d'encapsulation : leurs microcapsules « intelligentes », contenant des engrais, réagissent à des déclencheurs biologiques, comme un changement de pH dans le sol, une température précise, la présence d'enzymes pour libérer progressivement leur contenu. On peut aussi citer l'exemple de l'américain Sharklet Technologies : cette entreprise développe des surfaces inspirées de la peau de requin, dont la composition réduit de 90% la prolifération des bactéries ; de même pour BioDotDotDot qui développe la bioluminescence, lumière naturelle et douce développée à partir de bactéries sous‑marines.  Ces chercheurs adoptent une logique : l'efficience par l'intelligence contextuelle, non par la force brute.

Ces innovations dépassent les matériaux, et infusent une nouvelle philosophie organisationnelle. Prenons par exemple Interface, fabricant de moquettes. Son tournant biomimétique l'a conduit à repenser toute sa chaîne : comme les forêts qui régénèrent leurs nutriments sans déchets, l'entreprise recycle désormais ses vieux produits en matières premières. Ainsi, l'ADN opérationnel est redéfini autour de principes vivants : résilience et adaptation continue.

Mais cette voie soulève une tension profonde, presque existentielle : la nature privilégie l'équilibre dynamique, non la croissance exponentielle. Elle valorise la diversité, non l'uniformité. Peut‑on vraiment bâtir des entreprises "vivantes" dans un système financier récompensant l'expansion sans limite et la création de valeur à court‑terme ? Des théoriciens comme Janine Benyus, pionnière du biomimétisme, y voient justement l'opportunité de réconcilier profit et pérennité : « Le biomimétisme est une nouvelle façon de voir et d'apprécier la nature. Il inaugure une ère fondée non pas sur ce que nous pouvons extraire du monde naturel, mais sur ce que nous pouvons en apprendre. » (Biomimicry : Innovation inspired by nature, J. Benyus, 1997). Par ailleurs, un écosystème ne maximise pas le rendement d'une seule espèce, mais bien la santé de l'ensemble : on retrouve davantage d'équilibre en laissant la nature suivre sa trajectoire.

À cet effet, certains fonds d'investissement commencent à évaluer les projets sur leur capacité à créer de la valeur durable, comme le fonds SWEN Capital Partners, qui intègre les enjeux naturels et la contribution à la régénération des écosystèmes au sein des décisions d'investissement. Certaines structures voient le jour, des venture studios comme Anima, the biomimicry studio, qui accompagne et co‑construit les idées de start‑up pour en faire des projets vertueux et durables.

L'obstacle majeur n'est pas technologique, mais culturel. Après des siècles à vouloir dompter la nature, il s'agit désormais de l'écouter. Cela implique de ralentir pour observer avant de concevoir. Ce changement de posture est peut‑être la clé : non pas "appliquer" le biomimétisme comme une technique, mais incarner une forme d'humilité intelligente face au vivant.

En définitive, le biomimétisme trace une voie tangible pour des entreprises en quête de sens et de durabilité. À l'heure où les ressources se raréfient et les crises s'enchaînent, elle rappelle que les solutions les plus robustes, les plus élégantes, et les plus généreuses, sont souvent celles qui ont déjà été éprouvées depuis toujours. Les organisations qui sauront s'inspirer de ces grandes leçons deviendront, à leur échelle, des écosystèmes porteurs d'avenir.


Félix Thomas

Consultant "Tendances"

Groupe Les Temps Nouveaux

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Margaux Merand, diplômée de l’ENS Ulm, est professeure de philosophie et docteure en philosophie et psychopathologie. Elle a consacré sa thèse de doctorat à l'anorexie mentale, dont elle propose une vision renouvelée.